Stress oxydatif
L’équipe de l’URS a développé la thèse – basée sur les résultats de ses études et sur la littérature scientifique – qu’un déséquilibre entre les radicaux libres et les antioxydants (appelé dérégulation redox) dans les cellules nerveuses joue un rôle central dans l’apparition de la schizophrénie. Ce déséquilibre est également déterminant dans l’apparition de l’autisme et des troubles bipolaires. Il est causé par une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux et engendre des conséquences particulièrement néfastes pendant le développement du cerveau, c’est à dire entre la grossesse et la puberté. L’enfance et l’adolescence sont donc des périodes critiques sur le plan de l’apparition des anomalies biochimiques menant à la maladie; une intervention précoce joue dès lors un rôle déterminant sur l’évolution de ces dérèglements.
Les facteurs génétiques liés à la dérégulation redox impliquent notamment le métabolisme du glutathion, un antioxydant puissant servant à l’élimination des substances toxiques dans corps humain (produites entre autres par la consommation d’oxygène). Les facteurs environnementaux peuvent être très variés et d’origine physique (complications lors de la naissance, infections, virus, toxicomanie, etc.) ou psychologique (traumatismes, stress, abus, décès, etc.). Il en résulte un « stress oxydatif » qui, dans le cerveau, va entraver le développement normal de certains neurones et de leurs connections. Les évidences expérimentales (sur des animaux ou des cultures cellulaires) montrent qu’un tel déséquilibre entre les oxydations et les réductions provoque des conséquences très semblables aux anomalies observées chez les patients.
Les anomalies du cerveau connues chez les patients portent en particulier sur deux types de cellules nerveuses: (a) d’une part sur les neurones inhibiteurs dits « à parvalbumine » (PVI), qui jouent un rôle clef dans les microcircuits du cortex et pour toutes les fonctions cognitives, et (b) d’autre part sur les cellules formatrices de myéline(appelées oligodendrocytes) entourant les fibres nerveuses, qui assurent les connexions entre les différentes parties du système nerveux central et constituent les macrocircuits cérébraux. Ces anomalies sont très probablement à l’origine des différentes manifestations de la maladie, portant sur les troubles sensoriels, cognitifs, affectifs et sociaux ainsi que sur les hallucinations. Les troubles cognitifs, qui concernent la mémoire, l’attention, la concentration et la planification de l’action, sont particulièrement perturbants dans la vie quotidienne et professionnelle des patients.
Cercles vicieux
Il est désormais avéré que la dérégulation redox est étroitement liée à divers mécanismes, qui sont au nombre de trois au moins: (1) un dysfonctionnement du système immunitaire entrainant une inflammation du tissu nerveux, (2) un défaut de fonctionnement du récepteur au glutamate « NMDAR » et (3) un déséquilibre du transmetteur dopamine. En effet, l’excès d’oxydations dans le cerveau induit une réponse inflammatoire et inversement une poussée inflammatoire favorise le stress oxydatif. Ces deux phénomènes ont donc tendance à s’amplifier l’un l’autre, aggravant ainsi leurs conséquences défavorables. La même interaction aggravante s’observe entre le stress oxydatif et le récepteur NMDAR, un des plus importants récepteurs du cerveau, qui joue un rôle essentiel dans tous les phénomènes d’apprentissage et de mémoire: l’état oxydé entraîne une diminution de l’activité de ce récepteur et cette diminution a pour conséquence un déficit des mécanismes antioxydants. Finalement, la dopamine génère lors de sa dégradation de nombreuses substances oxydantes. Chacun de ces cercles vicieux s’auto-entretient par lui-même et va en plus entraîner les autres dans l’amplification du stress oxydant.
Ainsi, ces quatre facteurs, inflammation, inactivation NMDAR, dérégulation redox, excès de dopamine, tous impliqués dans la maladie, convergent sur un stress oxydant et amplifient réciproquement leurs effets négatifs. Il est donc probable que les futurs traitements préventifs lors de traumatismes juvéniles consisteront à tenter de contrer ces facteurs pendant le développement du cerveau en combinant antioxydants, anti-inflammatoires, activateurs du NMDAR et antipsychotiques.
Convergence
Il existe un grand nombre de modèles animaux basés sur différentes anomalies génétiques ou environnementales et utilisés dans divers laboratoires, modèles qui tous reproduisent certains aspects de la schizophrénie ou de l’autisme. L’URS a étudié ces autres modèles et est arrivé à la conclusion que presque tous sont le siège d’un stress oxydatif, particulièrement s’ils sont l’objet d’un stress environnemental pendant le développement du cerveau. Ce stress oxydatif est lié aux anomalies des neurones à parvalbumine et en est très probablement responsable. En effet, dans les cas où cela a été testé, il a été montré que l’application d’une substance anti-oxydante non seulement réduit le stress oxydatif mais restaure également les neurones à parvalbumine et leur fonction. Il semble donc que des mécanismes très divers, d’origine soit génétique soit environnementale soit combinée, conduisent finalement à un stress oxydant qui entrave le fonctionnement normal des neurones à parvalbumine, si importants pour toutes les fonctions cognitives. Ces résultats suggèrent que le stress oxydatif pourrait être un point de convergence de nombreux agents causals et revêtir ainsi une importance plus générale que l’URS ne l’avait proposé initialement.
Essais cliniques
L’URS a conduit deux essais cliniques importants et très prometteurs avec une substance antioxydante appelée N-acétyle-cystéine (NAC), qui fournit l’élément essentiel à la synthèse (production) du glutathion et permet ainsi de lutter contre le stress oxydatif. Les patients qui ont participé à ces études ont absorbé la NAC en adjonction au traitement standard. Il s’agissait d’essais randomisés contre placebo, en parallèle et double aveugle, sur une durée de 6 mois par patient; cela signifie que la moitié des patients participant à l’étude a reçu de la NAC, l’autre moitié a absorbé un placebo (substance neutre); la répartition s’est faite au hasard et à l’aveugle et les études ont été menées simultanément sur les deux groupes.
La première étude, entreprise entre 2002 et 2005, était ciblée sur les patients chroniques, qui ont connu une amélioration de leurs symptômes, plus particulièrement de leurs symptômes négatifs (déficits au niveau du langage, de la communication, des émotions, de la socialisation) qui ne sont pas améliorés par les médicaments classiques. Aucune manifestation secondaire désagréable n’a été observée. En plus des améliorations cliniques, il a également été observé, en électroencéphalographie (EEG), que l’exploitation par le cerveau d’une information auditive est améliorée, un changement qu’aucun médicament testé jusqu’à ce jour n’avait obtenu. Les enregistrements électro-encéphalo-graphiques ont par ailleurs révélé que la NAC améliore aussi la synchronisation neuronale de l’EEG de repos, ce qui correspond à l’amélioration de certains symptômes de désorganisation chez les patients.
Ces résultats positifs ont motivé la mise sur pied d’un essai avec la NAC chez les jeunes patients lors de leur premier épisode psychotique, dans l’espoir que les effets seraient encore meilleurs au vu du fait que ces patients ne présentent pas (encore) les dommages dus à la chronicité de la maladie. Des chercheurs de l’Université de Harvard (USA) ont souhaité se joindre à l’étude.
L’analyse des résultats (publiés en 2017) chez les patients traités avec la NAC, en comparaison de ceux qui ont absorbé un placebo, a mis en évidence trois constatations majeures:
- Les patients traités avec la NAC ont vu leurs symptômes cognitifs améliorés, notamment la vitesse de traitement de l’information, qui revêt une importance cruciale dans les fonctions cognitives (attention, abstraction, communication, mémoire, etc.). Ce résultat est particulièrement significatif puisqu’à ce jour il n’existe aucun médicament susceptible d’améliorer les fonctions cognitives, qui jouent un rôle essentiel dans la vie quotidienne de tout un chacun.
- La NAC améliore la structure du fornix et la connectivité fonctionnelle du faisceau cingulaire; le fornix et le faisceau cingulaire sont deux connexions importantes qui assurent la liaison de l’hippocampe, responsable des fonctions de mémoire, avec d’autres régions du cerveau. C’est la première fois qu’un traitement permet d’influencer la connectivité.
- Les patients chez qui un marqueur sanguin « redox », permettant d’évaluer l’état d’oxydation des cellules, a un taux d’activité élevé (synonyme d’un état d’oxydation élevé) ont également vu leurs symptômes positifs améliorés (hallucinations, confusion, comportement incohérent) suite au traitement avec la NAC.
Cette dernière constatation ouvre pour la 1ère fois la voie à un « biomarker-guided treatment » en psychiatrie, en d’autres termes à un traitement personnalisé, dont l’efficacité peut être déterminée sur la base d’un marqueur biologique.